lundi 7 juillet 2025

Je ne retournerai pas m’endormir sans souhaiter bonne nuit



Cette journée-là était passée avec toi. Cela avait été convenu il y avait longtemps.

Tu es venue nous chercher, moi et mes frères, et tu attendais dans ta voiture un peu plus loin de notre rue, comme si tu étais cachée (peut-être cachée) derrière les pins ronds qui étaient à peine plus grands que moi.

On m'a dit que tu t'étais mal comportée, ce qui m'a soulagé, car j'avais une raison de mieux supporter ton absence. Ils t’ont pointée du doigt et toi tu te sentais fragile, emplie d'une culpabilité qui n'était pas la tienne. Une infraction décidée par des procureurs et des juges qui n'avaient probablement pas eu d'enfance (les pauvres), car sinon ils auraient veillé à notre stabilité. Et, en t’accusant, nous, même n'étant pas conscients des sujets, nous répétions le geste, donnant ainsi de la force aux accusateurs et consommant encore plus de votre énergie.

Je me souviens des premiers week-ends où nous dormions chez toi et je me réveillais en pleurant doucement. Et même si je ne fais pas beaucoup de bruit, tu m'entendais et tu m'emmenais dans ton lit où je m' étais rendormi avec le sourire aux lèvres, parce qu'après tout, je te plaisais. Je me sentais au chaude et protégée, tandis que tu me regardais pleine de tendresse et de bonheur, pendant un instant. Pour avoir pu m'avoir près de toi, même si ce n'était que pour une toute petite fraction de nos vies.

Nous avions des chambres que tu as aménagées du mieux que tu as pu pour que nous nous sentions bien et comme chez nous. Tu as trouvé un chiot qui a fait nos délices. Tu organisais des dîners entre amis qui animaient la maison, des fêtes qui nous rendaient heureux. Tu nous as montré comment apprécier les bonnes choses de la vie. Tu nous as appris à cuisiner pour que nous puissions savourer les plats et être fiers lorsque nos invités se vantassent de nos créations. Tu as raconté des blagues que je répète encore à mes amis aujourd'hui. Tu as fait des farces qui n'ont fait que répandre de bonne humeur.  Tu nous as emmenés dans des restaurants (oh, The Great American Disaster) avec des décors incroyables et une musique qui nous faisait vibrer de joie. 

Et aussi où des mecs (d’une beauté à couper le souffle) travaillaient. J'ai même réussi à tomber amoureuse de l'un d'eux pendant l’éternité d’un été.

Je t'ai demandé de revenir vers nous, ou nous vers toi. Je crois que je l'ai demandé. Je ne sais pas si juste avec mes yeux.

Mais un jour, la sœur aînée a trouvé une lame de rasoir et des vêtements d'homme dans ta chambre. Tu avais un petit ami qui n'était pas notre père et j'ai ressenti une sorte de trahison. De la jalousie, sans aucun doute.

Quand les dames en toges t'ont enlevé à nous, je n'ai eu qu'une seule option : créer une résistance pour que tu fusses indifférent à moi. Pour arrêter de ressentir cette douleur énorme qui semblait faire bondir mon cœur hors de ma poitrine. Il y a eu une nuit chez mon père, alors que j'étais déjà au lit, où, en silence, j'ai séché jusqu'à la dernière larme de tous les sentiments que j'avais pour toi.

Nous avons continué à aller passer le week-end avec toi toutes les deux semaines, pour des raisons liées à la sentence et aussi pour que notre père puisse avoir du temps pour lui. Pour sortir avec sa copine, par exemple.

Mais de plus en plus, je sentais que faire les cent pas ne m’apportait pas la paix et ne faisait qu’accroître mon instabilité. J'avais besoin d'un endroit pour grandir. D'un autre côté, c'était dur pour moi de te dire que je n'avais plus envie d’aller chez toi (ce que je voulais c'était aller vivre avec toi), mais je ne pouvais rien demander à mon père. Je ne pouvais pas avoir à choisir entre les deux personnes que j'aime le plus.

Alors j'ai inventé des excuses et des raisons pour me convaincre que la meilleure chose était de faire ma vie autour de mon père (ou plutôt : autour de la maison de mon père).

Je sais que tu tiens à nous et que tu veux juste nous aider. Que tu ne veux même plus ta part.

Mais arrête ! ARRÊTE !

Parce que je n'en ai pas besoin, je n'en veux pas, parce que je suis déjà grande et je sais prendre soin de moi.

Tu ne veux pas mon bien (le bien de mes frères, peut-être). Tu fais semblant de le vouloir, mais c'est à toi que tu penses.

Laisse-moi. Laisse-moi partir. Je ne me soucie pas des familles. Je ne me marierai jamais et n'aurai jamais d'enfants. Et quand je les aurai, tout ira bien. Savez-vous pourquoi ? Parce que je ne ferai jamais ce que tu as fait. Je ferai ce qu'on m'a appris à faire.

Et donc j'ai appris à vivre comme si tu n'existais pas, comme si tu étais mort (je pensais...).

Un jour, on m'a appelé de l'hôpital. L'infirmière était même gentille au téléphone et à mon arrivée, quand elle m'a emmené chez toi.

Tu avais demandé la présence de tes enfants et ils n'ont trouvé que moi. J'ai découvert ton regard perdu et désespéré. Tu rayonnais de douleur que j'ai sentie pénétrer en moi. Tu m'as demandé de te ramener chez toi et je n'ai pas pu accéder à ta demande. Pas même ta dernière demande.

Ce jour-là, j’ai décidé de ne plus jamais faire la paix avec Dieu.

Comme un ami me l’a appris, il existe un moyen de voyager dans le temps et de faire les choses différemment. C'est en voyageant à travers l’expérience d’autres personnes qui ont déjà parcouru le même chemin. Nous voyons comment ils l’ont fait, ce qu’ils ont obtenu en résultat, et nous revenons à notre passé pour améliorer notre avenir.

Et une chose que j'ai déjà changé :

Je ne retournerai pas m’endormir sans souhaiter bonne nuit!


À ce moment-là, je voulais tout ce que j'avais laissé filer et qui me manquait.

J’aimerais avoir le temps de rassembler mon courage et de pouvoir dire à ma Mère combien je l’aime.


Bonne nuit Maman.

.....

Je t’aime très, très fort.




lundi 17 février 2025

A cette date...











Il est deux heures trente-six du matin. Je viens de me réveiller en apercevant une petite lumière clignotante sur mon téléphone, signalant un message de ta part pour me rappeler ton anniversaire.

Lorsque je me réveille ainsi au beau milieu de la nuit, je me tourne et me retourne dans mon lit en espérant me rendormir. Finalement, je me lève et vais à la cuisine en revue du  réfrigérateur, espérant y trouver un verre de lait pour apaiser la sensation de vide dans mon estomac.

Puisque je ne travaille pas demain (ou plutôt aujourd'hui), je m'installe dans le salon et remarque ta photo qui me sourit. Comme je n'aurai pas l'occasion de te rencontrer dans la journée pour te faire un bisou de félicitations, je profite de cette insomnie pour t'écrire des nouvelles que je ne t'ai pas partagées depuis longtemps.

C’est vrai que le travail ne m'a pas laissé beaucoup de répit, m'aidant ainsi à oublier à quel point tu me manques. Mais avec le temps, j'ai également appris à gérer cette absence et à réaliser que je n'avais pas besoin de toi.

Je me rappelle, avec un sourire que je ne peux dissimuler, des petites choses que tu faisais pour nous (moi et mes frères).

Le baiser de bonne nuit et le bonjour chuchoté à mon oreille lorsque je me réveillais avec une fête dans la tête. Les délices que tu nous préparais : les oranges en gélatine, ces petites boules de chocolat que tu appelais Jamie Brown. Les piles de bananes, de marmelade et de fromage avec un cure-dent planté dedans. Les tranches farcies (pas les dorées, celles farcies à la viande). Le lait concentré caramélisé sur la porte du réfrigérateur.

Tout ce que tu nous as appris : les gâteaux avec la farine tamisée, cette seringue qui créait différentes formes de biscuits au beurre. Les morceaux de sucre brun dans la boîte bleue du garde-manger. Les biscuits Gringoire achetés chez l’épicerie militaire.

Le masque et la cape de Zorro fabriqués avec habileté, tard dans la nuit, fatigué, car il était absolument urgent que je les emmène à l'école le lendemain.

Les sapins de Noël et la crèche que nous faisions ensemble en famille. Les farces et les jeux que tu nous montrais. L'humour qui t'a façonné en moi.

Avec un sourire que je ne peux dissimuler, mais qui se transforme en larmes dans les yeux, comme des gouttes de pluie sur la fenêtre par laquelle je regarde sans voir à l'extérieur, je réalise ce que je suis aujourd'hui : le résultat de ce que tu as laissé en moi. Le courage et la force que tu as dû avoir pour vivre sans tes enfants.

Le manque que je ressens de ton absence n'est plus pour moi, mais pour mes enfants. Quand je les vois grandir sans leur mère à leurs côtés, simplement parce qu'un père a voulu leur offrir le meilleur.

Moi, le père. Moi le meilleur ?

J'essaie de te remplacer, non pas pour moi, mais pour tes petits-enfants. Je m'efforce d'être la mère qui m'a manqué et que je n'ai toujours pas laissé partir. Et que je ne laisserai jamais.



Je ne retournerai pas m’endormir sans souhaiter bonne nuit

Cette journée-là était passée avec toi. Cela avait été convenu il y avait longtemps. Tu es venue nous chercher, moi et mes frères, et tu att...