
Cette journée-là était passée avec toi. Cela avait été convenu il y avait longtemps.
Tu es venue nous chercher, moi et mes frères, et tu attendais dans ta voiture un peu plus loin de notre rue, comme si tu étais cachée (peut-être cachée) derrière les pins ronds qui étaient à peine plus grands que moi.
On m'a dit que tu t'étais mal comportée, ce qui m'a soulagé, car j'avais une raison de mieux supporter ton absence. Ils t’ont pointée du doigt et toi tu te sentais fragile, emplie d'une culpabilité qui n'était pas la tienne. Une infraction décidée par des procureurs et des juges qui n'avaient probablement pas eu d'enfance (les pauvres), car sinon ils auraient veillé à notre stabilité. Et, en t’accusant, nous, même n'étant pas conscients des sujets, nous répétions le geste, donnant ainsi de la force aux accusateurs et consommant encore plus de votre énergie.
Je me souviens des premiers week-ends où nous dormions chez toi et je me réveillais en pleurant doucement. Et même si je ne fais pas beaucoup de bruit, tu m'entendais et tu m'emmenais dans ton lit où je m' étais rendormi avec le sourire aux lèvres, parce qu'après tout, je te plaisais. Je me sentais au chaude et protégée, tandis que tu me regardais pleine de tendresse et de bonheur, pendant un instant. Pour avoir pu m'avoir près de toi, même si ce n'était que pour une toute petite fraction de nos vies.
Nous avions des chambres que tu as aménagées du mieux que tu as pu pour que nous nous sentions bien et comme chez nous. Tu as trouvé un chiot qui a fait nos délices. Tu organisais des dîners entre amis qui animaient la maison, des fêtes qui nous rendaient heureux. Tu nous as montré comment apprécier les bonnes choses de la vie. Tu nous as appris à cuisiner pour que nous puissions savourer les plats et être fiers lorsque nos invités se vantassent de nos créations. Tu as raconté des blagues que je répète encore à mes amis aujourd'hui. Tu as fait des farces qui n'ont fait que répandre de bonne humeur. Tu nous as emmenés dans des restaurants (oh, The Great American Disaster) avec des décors incroyables et une musique qui nous faisait vibrer de joie.
Et aussi où des mecs (d’une beauté à couper le souffle) travaillaient. J'ai même réussi à tomber amoureuse de l'un d'eux pendant l’éternité d’un été.
Je t'ai demandé de revenir vers nous, ou nous vers toi. Je crois que je l'ai demandé. Je ne sais pas si juste avec mes yeux.
Mais un jour, la sœur aînée a trouvé une lame de rasoir et des vêtements d'homme dans ta chambre. Tu avais un petit ami qui n'était pas notre père et j'ai ressenti une sorte de trahison. De la jalousie, sans aucun doute.
Quand les dames en toges t'ont enlevé à nous, je n'ai eu qu'une seule option : créer une résistance pour que tu fusses indifférent à moi. Pour arrêter de ressentir cette douleur énorme qui semblait faire bondir mon cœur hors de ma poitrine. Il y a eu une nuit chez mon père, alors que j'étais déjà au lit, où, en silence, j'ai séché jusqu'à la dernière larme de tous les sentiments que j'avais pour toi.
Nous avons continué à aller passer le week-end avec toi toutes les deux semaines, pour des raisons liées à la sentence et aussi pour que notre père puisse avoir du temps pour lui. Pour sortir avec sa copine, par exemple.
Mais de plus en plus, je sentais que faire les cent pas ne m’apportait pas la paix et ne faisait qu’accroître mon instabilité. J'avais besoin d'un endroit pour grandir. D'un autre côté, c'était dur pour moi de te dire que je n'avais plus envie d’aller chez toi (ce que je voulais c'était aller vivre avec toi), mais je ne pouvais rien demander à mon père. Je ne pouvais pas avoir à choisir entre les deux personnes que j'aime le plus.
Alors j'ai inventé des excuses et des raisons pour me convaincre que la meilleure chose était de faire ma vie autour de mon père (ou plutôt : autour de la maison de mon père).
Je sais que tu tiens à nous et que tu veux juste nous aider. Que tu ne veux même plus ta part.
Mais arrête ! ARRÊTE !
Parce que je n'en ai pas besoin, je n'en veux pas, parce que je suis déjà grande et je sais prendre soin de moi.
Tu ne veux pas mon bien (le bien de mes frères, peut-être). Tu fais semblant de le vouloir, mais c'est à toi que tu penses.
Laisse-moi. Laisse-moi partir. Je ne me soucie pas des familles. Je ne me marierai jamais et n'aurai jamais d'enfants. Et quand je les aurai, tout ira bien. Savez-vous pourquoi ? Parce que je ne ferai jamais ce que tu as fait. Je ferai ce qu'on m'a appris à faire.
Et donc j'ai appris à vivre comme si tu n'existais pas, comme si tu étais mort (je pensais...).
Un jour, on m'a appelé de l'hôpital. L'infirmière était même gentille au téléphone et à mon arrivée, quand elle m'a emmené chez toi.
Tu avais demandé la présence de tes enfants et ils n'ont trouvé que moi. J'ai découvert ton regard perdu et désespéré. Tu rayonnais de douleur que j'ai sentie pénétrer en moi. Tu m'as demandé de te ramener chez toi et je n'ai pas pu accéder à ta demande. Pas même ta dernière demande.
Ce jour-là, j’ai décidé de ne plus jamais faire la paix avec Dieu.
Comme un ami me l’a appris, il existe un moyen de voyager dans le temps et de faire les choses différemment. C'est en voyageant à travers l’expérience d’autres personnes qui ont déjà parcouru le même chemin. Nous voyons comment ils l’ont fait, ce qu’ils ont obtenu en résultat, et nous revenons à notre passé pour améliorer notre avenir.
Et une chose que j'ai déjà changé :
Je ne retournerai pas m’endormir sans souhaiter bonne nuit!
À ce moment-là, je voulais tout ce que j'avais laissé filer et qui me manquait.
J’aimerais avoir le temps de rassembler mon courage et de pouvoir dire à ma Mère combien je l’aime.
Bonne nuit Maman.
.....
Je t’aime très, très fort.
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